» Chers inconnus à la peau si pâle,
Nous ne vous attendions pas ce soir, d’ailleurs nous n’avons pas pour habitude d’attendre, mais nous sommes par contre régulièrement surpris, un moyen qu’a trouvé la vie pour rompre le quotidien.
Il est ici très humble, sans hâte ni colère, nous vivons de ces montagnes que vous venez de traverser, et qui vous ont coloré les joues et usé les mollets.
Voyez ces plantations de maïs, ces rizières arides en cette saison, ces arbustes de thé, ils sont mon héritage, ils sont mon horizon.
Mes os ont soixante seize années, et chaque matin mes yeux s’entrouvrent sur ces couleurs.
Merci pour votre halte, et votre longue ascension, nous voyons en votre brave randonnée la saine curiosité que nous vous inspirons. Peut être est ce de l’émerveillement.
Et je dois dire que cette idée me rend confuse. Mon village ne compte que quinze huttes de bois sur pilotis, un simple filet d’eau cours le long d’un muret pour notre toilette, les braises de notre feu ne réchauffent que du riz ou des haricots, et vous avez lutté contre notre soleil toutes ces heures durant, pour partager avec nous ces modestes habitudes.
Soyez les bienvenus, vous qui n’avez pas même quémandé, que mon toit soit le vôtre.
Je n’ai qu’une natte de bambou à vous offrir pour votre nuit, et quelques tasses de thé vert, mais j’ai le sentiment que cela peut suffire à votre confort.
Notre sol n’est jamais dur pour celui qui apprécie l’hospitalité.
Excusez mes petits enfants qui vous suivent du regard et serrent vos mains, comprenez, c’est la toute première fois que des étrangers s’égarent ici, vous êtes pour eux de surprenants spécimens, à la langue inconnue et aux yeux clairs. Mais ils sont si tranquilles et charmeurs, que vous y prendrez vite plus de plaisir qu’ils ne le font eux même.
Je vous ferai bien faire le tour du propriétaire si seulement cela était nécessaire.
Ma maison n’est qu’une vaste pièce sombre où crépite un foyer de bûches dont j’entretiens toujours les flammes, nous y dormirons ce soir ensemble à la lueur de la nuit, qui filtre à travers nos cloisons boisées.
Ne soyez pas surpris par mon mari qui marmonne ses prières quand l’ombre vient, agenouillé devant la bougie de son autel. Cela dure, s’attarde, et recommence même au petit matin avant l’aube. C’est en rendant grâce à Bouddha que notre vie nous paraît si confortable et notre bonheur si complet.
Il est bien dommage que nous ne puissions communiquer que par suppositions, le Birman de nos montagnes ne se mêle guère à votre anglais.
Avons nous vraiment besoin de plus ? Mes yeux brillent de joie et mes rides ne sont plus si profondes tant votre compagnie me fait sourire. Les mots seraient sans doute superflus.
Mon histoire se lit dans les traces que la nature a laissé sur mes mains, salies par le temps, rendues robustes par ses assauts, je suis une femme de la terre, je la cultive et m’en nourrie, c’est ma première richesse.
Soyez ici comme chez vous, voyez, il n’y a pas même de porte à cette bâtisse, que je pourrai clore. Mon monde est tout autant le vôtre, et n’appartient qu’à Bouddha.
Rien ne semble plus naturel que d’en partager la saveur à vos côtés. Mon foyer sera votre abri et notre riz se partage toujours.
Alors entrez, chers inconnus. Entrez et vivez comme jamais vous ne l’avez fait. »
Notre hôte des montagnes de Kyaukme n’a jamais pu nous confier ces mots. Et pourtant ce soir là, quand nous avons plongé nos yeux dans les siens, c’est tout ce que nous y avons lu…
Touché !!!
Toujours aussi beau , intéressant et touchant de te lire Marine .
Bisous
Merci Elo !
C’est l’effet Birmanie : beau et touchant…
bisous