Recette approximative, au large de Hoi an

Pour faire un bon rouleau de printemps l’important n’est pas la feuille de riz ni même l’art de la manier mais sans aucun doute le cadre insensé dans lequel tout cela peut se préparer.
Dans la fraîcheur de la matinée il faudra tout d’abord déambuler dans les allées de ce marché bruyant où les crevettes sautent encore d’être si fraiches et où l’odeur de coriandre se mêle à celle de la menthe pour finir de mettre en éveil l’ensemble de vos sens. Le panier se remplit soigneusement, jusqu’à déborder de couleurs et vous permettre de capturer un peu de cette fantaisie Vietnamienne qui étale toutes ses saveurs dans un désordre éprouvant.
On repart les papilles impatientes sur une petite embarcation qui n’avance qu’à la force des rames, pour se perdre dans un lacis de palmiers qui s’échappent des eaux et préservent en leur coeur une petite île insoupçonnée à l’abri de la houle urbaine.
C’est dans ce repère presque secret que l’on se découvre des talents pour flamber le riz et tirer de lui même le lait qui en fera les feuilles sous l’oeil bienveillant de ceux qui le font bien mieux que nous.
On ne compte ni les cuillerées de sauce soja ni celles de poivre noir, ce que l’on apprécie ici c’est que la gastronomie prend un air d’aventure, et se déguste avec audace dans une jungle de verdure.
Arrosés de fruits de la passion dès l’instant où votre verre se vide, Lue prend soin de vous comme un hôte soucieux de faire durer un peu la magie gustative de ces lieux.
Les coups de baguette sont ici pour la poêle, qu’importe si l’échalote est un peu trop brunie d’avoir patienté sur le feu sous votre contrôle.
Il n’y pas de répit pour la soupe de nouilles qui mijote ni pour le printemps qui se roule entre vos mains avec toute la maladresse attendue, la faute à cette démente passion vietnamienne pour les confections périlleuses.
Pour disposer les crevettes, ne laissez pas votre imagination prendre le pas sur le côté pratique de la situation, vous en perdriez en esthétique, et personne ne voudrait décemment ternir si futilement la perfection de cet art.
Si la famille de Lue rit un peu de vous, pardonnez leur cet excès d’enthousiaste en reconnaissant que rien ne vaut le coup de maître asiatique.

Lorsque vous scellerez enfin les coins de votre oeuvre, plongez la avidement dans cette sauce beurre de cacahuète dont on n’ose pas même retenir le secret et dégustez le tout avec l’agréable songe d’être au milieu de nulle part pour goûter le Vietnam.
Resservez vous,
Ne repartez plus.