Les pas sont lents, seul résonne notre souffle qui accuse les mètres d’altitude mais le spectacle qui nous entoure ne peut s’apprécier que dans cette langueur forcée.
Le toit du monde nous espionne depuis ces sommets que l’on tente modestement de dompter, et si la brise fraiche nous bat parfois les oreilles, c’est pour nous rappeler que nous ne sommes ici que passagers transitoires, sans arme face à l’immensité.
Les yaks courent la plaine, les dos népalais s’affaissent sous le poids des charges, et partout le sentiment de vide se heurte à celui du grandiose.
L’on aimerait pouvoir capter chaque seconde de cet horizon, se nourrir de cette beauté si peu familière, qui nous brûle les yeux et fait trembler nos mollets.
Dans l’effort poussé à son extrême, se retrouve un bonheur brut, lavé du superflu de ce que l’homme a créé, de son confort sans imperfection. Le corps vous parle et vous confie ses limites, enivré par le charme du tableau que l’on dérange, on prend plaisir à les repousser.
Ici, les hauteurs sont le seul luxe que l’on s’offre, avec ses rudesses et ses couloirs de neige, il semble être le seul que l’on soit à même d’apprécier.
Pour une halte aux pieds de ces géants, il y a quelques échoppes plantées dans le décor entre deux roches. Un thé citron brûlant apaise la gorge qui souffre déjà de cet air sec.
Les joues que l’on croise sont tannées de soleil, ou craquelées par le froid, mais ces âmes perdues dans le vide de cet horizon, ont un sourire intact.
Les heures de marche défilent mais on ne les compte plus, on foule les pierres avec pour seul désir d’en fouler davantage, pour nous mener toujours plus loin, plus au coeur de ce pays qui cache ses mystères derrière l’inaccessible.
Il n’y a ni quotidien, ni impatience, plus rien ne compte que cette ascension que l’on s’est promis de conclure. Pas après pas, on dévore le Népal, au rythme lent que nous impose ses sommets.
Le paysage change, seuls les vautours sont encore au dessus de nos têtes, leur ronde impeccable brisant la pureté du ciel.
Plus un bruit ne se fait entendre, 5000 mètres s’installent entre nous et le monde. La vie, lorsqu’elle est brute et intacte, n’est en fait qu’un silencieux panorama de perfection.
A peine le temps de reprendre son souffle, que ce décor nous l’ôte à nouveau.
A se croire petit sur la terre, l’on a finit par oublier que finalement le monde était si grand.
Insignifiant personnage fondu dans le blanc des montagnes, les traces de nos pas ne s’inscrivent que pour un instant, avalées bien vite dans l’immensité.
Le feu qui brûle chaque soir dans l’une des auberges qui nous offrent un toit, réchauffe nos mains, et apaise nos songes.
Dehors la nature profite de notre halte nocturne pour se déchaîner, la neige parade en de fins flocons et le froid assaille chaque carré de terre.
Demain aux aurores, nous la braverons à nouveau, oubliant la fatigue, appelé par l’un de ces hauts sommets, figé au dessus de nos yeux, prisonnier de ses glaces.
Il est finalement bien vrai que les montagnes nous rendent ivres, mais d’une ivresse délicieuse, dont on savoure le souvenir dans notre mémoire, tentant d’embrasser l’entière chaîne de l’Himalaya.
on est ici aux antipodes de l’étouffante chaleur birmane, mais on te retrouve intacte dans ces récits ciselés par une plume experte, mais également, et c’est toujours source d’inquiétude pour des parents, dans tes actes, avec cette soif d’absolu, cette quête constante, quel qu’en soit le prix à payer, de « l’inaccessible étoile » :de grâce, Marine, sache t’arrêter à temps, souviens-toi d’Icare, toucher au Graal n’est qu’une illusion certes motivante, mais qui ne mérite pas qu’on y mette son bien le plus précieux en péril .
J’espère que ce message de sagesse que mon âge m’autorise trouvera sa juste résonance en toi.
Gros bisous
Dad