Voyages en sac à dos

Lettre ouverte à mes hôtes

Dans votre village il n’y a qu’une rue mais la vie que j’y ai trouvée m’en a fait paraître mille.
Si les canards et les poules s’y croisent dans une danse étonnante c’est qu’il n’y a ici aucune place qui ne leur est interdite, et qu’ils savent bien qu’un jour, ils finiront par être menés aux baguettes, fatalité naturelle que vous entretenez pour votre survie…
Les boeufs se salissent les pattes à toute heure dans des champs toujours battus par l’homme, traçant des sillons invisibles depuis votre terrasse, mais dont on est certain qu’ils sont à leur place.

Ce matin je ne vous ai pas trouvé en me réveillant, mais mon assiette de crêpes au miel fumait d’impatience de me voir ouvrir les yeux.
Depuis votre balcon j’ai aperçu votre fille en train de s’essorer les cheveux dans cette rivière qui file juste devant chez vous, et cette fraîche méthode à contre courant m’est soudain apparue comme la plus adaptée.

Tim, c’est bien cela le prénom de madame, n’oubliez pas de la féliciter de ma part, et de lui assurer l’infinie gratitude que je lui porte tant elle s’applique à nous rendre les heures de repas si riches alors même que vos traditions nous empêchent de la compter parmi nous.
Ne m’en voulez pas de ne pouvoir trinquer à la même allure que vous le faites vous mêmes, je ne cultive cette habitude que depuis quelques jours et j’ai le pressentiment qu’en la matière rien ne vaut l’expérience. Votre alcool de riz me brûle la gorge, une excuse peut être pour abuser des pousses de bambou qui me l’apaisent un peu. Et puis je m’y perds dans votre dialecte, j’ai appris à trinquer en vietnamien, voilà que maintenant c’est le langage des « tay » dont il faut user dans cette partie des montagnes, de quoi me donner le tournis avant même d’avoir bu. Une seule leçon reste claire, je dois finir d’une seule traite, vous serrer la main et toute cette cérémonie me tombe dessus plusieurs fois par repas.

Votre neveu ne parle pas encore mais nous avons trouvé beaucoup à nous dire. J’ai pris sa menotte pour lui dire bonjour, il a serré très fort la mienne et n’a plus jamais cessé de me sourire.
Emmitouflé avec précaution dans le dos de sa mère, je lui ai appris à reconnaître mes clins d’oeil quand personne d’autre ne pouvait nous voir. Vous ne me tiendrez je le sais pas rigueur de cette fantaisie, mais ne vous étonnez pas s’il conserve plus tard cette espiègle habitude, j’ai l’impression qu’il est plutôt précoce en apprentissage.
Ses pieds pendent dans le vide quand sa mère s’affaire aux tâches, j’ai bien peur qu’un jour ce va et vient lui donne la nausée, pour l’instant il regarde le monde sans complainte d’une hauteur qui n’est pas la sienne.

il faut que je vous dise également, votre réveil n’est pas à l’heure, votre coq me chante l’aube tant de fois dans la nuit que j’ai l’impression qu’il prend plaisir à se faire entendre, et que ma moustiquaire n’est qu’un rempart inefficace contre ses jacassements. Abusant de mon sommeil léger, la basse cour entière a pris part à mon réveil et j’ai fini par en sourire, comprenant que dans cette maison seule la vie pouvait nous réveiller.

Pour rejoindre le « lac de Ba be », monsieur, vous m’attendiez moi et ma maladresse pour grimper à bord de votre bicoque qui rase l’eau avec toute l’élégance due à ces lieux.
Il n’y avait ici que nous et cette étendue dont la profondeur m’a échappé, les papillons se débattaient dans les courants d’air que notre avancée pourtant si délicate, ne pouvait qu’induire, et j’aurai voulu que cette traversée dure encore, pour être capable de toucher un instant de plus le monde avec si peu d’intermédiaire.
Les gorges rocheuses qui pendaient à mes côtés m’ont coupé un peu la voix alors même qu’elles auraient pu lui offrir un écho parfait. Parfois dans les antres de vos terres, on ne sait plus bien vers où le regard doit se tourner, on se surprend simplement à devoir maitriser le vertige que tant d’ exubérance procure.
Je salue votre accostage, il a eu la délicatesse de se fondre dans cette végétation sans que je puisse y songer, notre bateau s’oubliant sur le sable en silence.
A nos côtés les pêcheurs entretenaient leur grâce en jetant vers ces eaux leurs filets et ne manquaient jamais de me saluer d’un sourire, qui semble être leur bien le plus précieux.

J’ai appris que la nature ne pouvait pas seulement se voir, mais qu’immergés au milieu de ce qu’elle vous a laissé de plus beau, nous pouvions la sentir.

A vous mes hôtes qui ne pourrez jamais lire ces lignes, je promets de garder comme un secret l’apaisement que j’ai trouvé dans l’écrin de vie qu’était votre demeure.
Pour rejoindre votre plancher j’ai du ôter mes chaussures et maintenant qu’il serait temps, je ne suis plus certaine de vouloir les remettre…

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8 Commentaires

  1. MP MP
    21/11/2014    

    Marine ce matin je me suis réveillée avec toi et j’ai senti cette odeur de crepe chaude qui fait appel a ma mémoire emotionnelle et donc a mon enfance et j’ai continué a te lire avec mes yeux d’enfant et comme toi j’ai maintenant du mal à quitter mon écran et donc à te quitter toi et tes hotes,ils sont magnifiques.Tu me procures toujours une immense joie de te retrouver dans ces quelques lignes( tu vois j’ai du mal à partir)allez salut ah le calvaire

    • Marine Marine
      22/11/2014    

      L’important c’est de conserver l’envie de revenir MP, alors ne pars jamais trop loin de ton écran, qui sait quelle aventure je pourrais encore y conter.
      En les commentant comme tu le fais, tu rends ces lignes plus belles, merci MP.

  2. patrice patrice
    21/11/2014    

    Marine, il va falloir sérieusement penser a faire des livres 😉 oui tu y a deja pense ou alors c est en cours… BRAVO encore

    • Marine Marine
      22/11/2014    

      Quel grand plaisir de te retrouver lecteur de ces lignes Patrice !
      Merci beaucoup pour tes commentaires qui me touchent beaucoup.
      peut être que le hasard fera avancer les choses pour moi et qu’un éditeur posera un jour ses yeux sur ce site et en tirera les mêmes belles conclusions que toi !
      merci encore
      Je vous embrasse tous les trois et vous embarque dans mon sac à dos !

  3. André André
    22/11/2014    

    Ici, le coq de la Pépinière chante à 5h20, et les feuilles mortes sont déjà ramassées, après avoir été soufflées, dans les allées. Quant aux canards et aux poulets, ils sont surgelés été comme hiver. Par un curieux contraste il y a mille rues, mais on croirait qu’il n’y en qu’une. Et l’on raconte que c’est, ici, le règne des individus! Bonne route!

  4. Anne.K Anne.K
    23/11/2014    

    A Metz ce week end c’était marché de Noel et vin chaud: ça semble si loin de ce que vous vivez……. Gros bisous, Marine!

  5. Wuilbercq Wuilbercq
    28/11/2014    

    Salut marine! Quel périple!!!
    Je viens de lire ta « lettre à mes hôtes, que j’ai trouvé splendide. Un petit voyage de 10mn au Viêt-nam, quel bonheur! Et sans bouger de ma chaise (hélas…)
    Une petite remarque néanmoins: tu n’arriverais pas a suivre tes hôtes sur l’alcool de riz??? J’imagine que c’est une coquetterie, parce que je n’en crois pas un mot!!!
    Je t’embrasse, t’encourage et espère te relire bientôt.
    Sebastien

    • Marine Marine
      28/11/2014    

      Sébastien c’est avec grand plaisir que je te souhaite la bienvenue dans l’aventure !
      Merci de te joindre à mes bagages, j’espère que la lecture rendra ta chaise moins statique…
      Force est de reconnaitre que je suis démasquée, un peu d’auto modération écrite, je m’imprègne des coutumes locales avec application !!

      Merci pour ton adorable commentaire
      A très vite donc au fil des mots

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Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir ; cœurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !

Charles Baudelaire