Voyages en sac à dos

Hoi an

On inverse les lettres, on met le cap au centre et l’on change de genre.
Etre un brin matinal offre ici l’opportunité de surprendre le quotidien dans tout ce qu’il a de plus calme, à une heure où le premier bâton d’encens se consume à peine sur le portique de ces maisons aux murs de pierre jaunes. Elles s’alignent et se font du coude dans un dédale de rues minuscules dont les pavés ne sont accessibles qu’aux piétons et rendent à ces lieux l’atmosphère d’un chapitre colonial pas si lointain.
Quand les premières heures du jour pointent leur nez, les rives du fleuve Thu Bon sont prises d’assaut par une marée de chapeaux coniques qui a compris depuis longtemps que le marché aux poissons est aussi furtif qu’il peut être odorant, et qu’il n’est rien de plus fiable que l’aurore pour assurer la fraicheur de ces écailles tout juste sorties de leurs eaux. C’est donc à la dérobée que l’on y soupèse la marchandise, en négocie le prix jusqu’à épuiser les étalages pour n’en laisser très vite que la glace se fondre goutte à goutte quand la foule se disperse et que plus rien ne peut alors témoigner de cette fugace agitation.

Le mois de décembre prend ses aises ici sous la forme de cette mousson si vive qui nous prend par surprise, nous délave le visage et nous laisse détrempés au milieu de ce décor qui s’y prête si peu. L’on pourrait s’en agacer mais l’on finit par en apprécier les contrastes qu’elle nous révèle et la fraicheur qu’elle nous offre un peu dans cette pesante atmosphère où l’air est aussi lourd que la pluie est battante.
Rien n’entame cependant cette ambiance si tranquille. Les lampions que l’on confectionne à la main avec tant d’application continuent d’égayer chaque coin de rue et leur donnent des touches de chaleur qui nous font oublier l’averse alors que les massives portes des temples accueillent pour un temps ceux qui préfèrent attendre l’accalmie sous l’oeil bienveillant de bouddha.

En s’échappant de ce coeur de ville, on traverse planté sur notre selle, ces mêmes paysages de rizières si vertes dont on ne se lasse pas, avant de se perdre dans quelques villages de poterie qui tirent de cet art une parfaite maîtrise. Le travail manuel prend ici tout son sens parce que si le disque de terre cuite tourne, c’est que le pied de l’homme l’y pousse et qu’il n’y a rien de mécanique à tout cela. Etre potier par ici c’est cultiver un talent dans sa forme la plus brute.
Les rues ne sont plus pavées dans ce hameau et puisque c’est encore possible, plus minuscules encore. On se surprend à parcourir les allées sans même prêter attention à un quelconque itinéraire, le rire des enfants vous servant de guide, et le fleuve qui ne court jamais bien loin, de repère.

Sur le chemin retour, la mousson engage sa revanche, hâtant un peu la vitesse du dérailleur, mais qu’importe, les sourires que l’on croise sont les mêmes parce qu’il n’y a rien d’assez fort ici pour écorner un tant soit peu la chaleur que l’on trouve dans chaque regard.
Hoi an est paisible, et la nature elle même n’y changera jamais rien, quelque soit la force de ses brusqueries.

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5 Commentaires

  1. MP MP
    01/12/2014    

    bonjour Marine me voila revenue a ma lecture apres 4 jours de travail mais bref oublions tout ca pour me plonger dans tes recits qui sont bien plus interressant tu en a fait du chemin et je ne sais plus ou donner de la tete mais je te suis avec plaisirj’en arriverai meme a apprecier la mousson on se croirait aux temps anciens comme si rien n’avait d’emprise sur ce pays,comment avons nous fait pour oublier ce temps d’avant ,nous le pays si en avance sur son temps.Je te fait de gros bisous ,prend soins de toi a tout de suite

    • Marine Marine
      01/12/2014    

      Effectivement je continue de gambader et je ne m’en lasse pas. Ce pays offre toute la douceur nécessaire pour le faire à mon rythme.
      Tu as bien raison, rien n’a d »emprise ici, pour mon plus grand bonheur.
      Je suis heureuse que mes lignes te tournent la tête, dans le domaine du voyage, c’est toujours bon signe, nhésite pas à t’y plonger quand le travail devient trop pesant…! Bon courage MP. A très vite.

  2. guydimeg guydimeg
    01/12/2014    

    quelques petits coups de pédale sous une pluie régénérante, et la machine à remonter le temps ranime pêle-mêle marchés d’autrefois, rues et villages d’antan, métiers oubliés…
    Tout parait si simple et naturel, merci Marine

  3. cerebrospinal cerebrospinal
    02/12/2014    

    le style OK!
    l’écriture super!
    poète à n’en pas douter!

    mais romancière??

    quand va t-elle rencontrer le grand amour , faire un coup d’état, disparaitre et retrouver le journal intime du général Giap ou identifier un enfant naturel du général Bigeard?

    quel suspense

    mais t’as raison gambader c’est peut être le plus agréable

    devinette:

    quelle différence entre le potier et Marine?

    Il créé avec son petit tour, elle enrichit avec son grand tour

    dans les deux cas c’est quand même grâce aux pieds

  4. cerebrospinal cerebrospinal
    02/12/2014    

    PS

    pour le restau t’inquiète pas dans celui là les chinois sont cambodgiens

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Pour partir ; cœurs légers, semblables aux ballons,
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Et sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !

Charles Baudelaire