Voyages en sac à dos

Xian, et toutes ses couleurs

Un nom trop court pour une ville trop grande. L’incohérence Chinoise frappe jusque dans la syntaxe.Mais ce n’est pas le seul domaine où cette qualité s’illustre.
Ici les barbecues de rues n’ont de cesse de frire ce que la mer abrite comme espèces visqueuses, du poulpe au calamar, il n’est rien qui échappe à l’appétit féroce de ces citoyens que l’éloignement certain avec le premier espace aquatique n’a semble t-il jamais inquiété.
Loin du bleu des vagues et proche d’un ciel trop bas parce que la pollution s’y abandonne, Xian est prisonnière d’un mode de vie expansif à l’intérieur de ses propres murailles qui encercle son coeur de pierres.
Les lumières brillent au milieu de la nuit, les bars se concentrent dans une même rue dans laquelle les jeunes générations viennent jouer leurs bières aux dés, et les marchés du quartier musulman débordent de saveurs colorées.
Partout ailleurs s’illustre le désarroi d’une surconsommation au travers de vitrines toujours propres dans lesquelles votre regard est suivi comme une ombre pour n’omettre aucun de ses désirs.

Le calme se retrouve à quelques kilomètres de là, dans une province dont la notoriété n’est que toute récente, quarante années de mise en lumière depuis que l’un de ses fermiers a posé le pied sur des ruines insoupçonnées, vieilles de plusieurs millénaires, prémisse d’une découverte souterraine époustouflante.
Une histoire d’empereur, jadis, il y a fort longtemps, et la précision des chiffres nous échappe tant cela semble lointain.
Parce qu’à la mort appartenait des égards que la culture a depuis abandonnés, le tombeau de ce grand homme s’il en est, mausolée enfoui sous les pieds de ceux qui vivent encore, s’est offert la bienveillance d’une entière armée de soldats de terre cuite figés à taille réelle pour une éternité inabordable par l’esprit humain. Des milliers de statues brunes et fort élégamment préservées se dressent dans la terre que l’on a depuis creusée pour en révéler ce trésor, vous faisant face stoïquement et semblant toujours prêtes à défendre le joyau pour lequel elles furent édifiées. Dans leurs yeux, tous singuliers pourtant, se lit encore la détermination irréelle des soldats de l’époque pour qui la vie n’avait de sens que dans le sacrifice que l’on en faisait pour celle d’un autre, plus puissant, plus imposant, l’empereur Qin par exemple…
La traversée de ces fosses, où des traditions soudées à la terre même de leurs pères sont mises à nues, offrent dans la cohue d’un voyage aux découvertes frénétiques, une brèche d’une contradictoire beauté où le soldat de pierre s’habille d’humanité.
Un pas vers le passé que la Chine expose et protège car il semble expliquer les origines de cette culture dans tout ce qu’elle a d’outrancier, d’exubérant et d’éternel.
Même Xian a donc sa part de quiétude et le train qui nous en éloigne nous laisse tout le loisir de songer à ses multiples profils et de retracer l’histoire qu’elle a fixé dans l’argile.

Le décor du départ se découvre sur les rails dans l’un de ces trains de nuit où les classes se joignent toutes dans les mêmes cabines exiguës. La brume épaisse qui étouffe le paysage n’ôte rien à la beauté des pièces de vie que l’on traverse.
Les villages n’existent que pour quelques secondes, celles tout juste nécessaires pour que ce convoi nous porte vers un ailleurs que l’impatience fait paraître inaccessible.
Le train ne vit que dans un instant furtif. Nous égarons des minutes de vie quelques part déjà si loin derrière, et le présent n’existe que parce qu’il s’empresse de nous mener ailleurs. Il y a dans ce mécanisme quelques incongruités appréciables où le temps file sans qu’il soit possible de le saisir.
Dans ces couloirs mouvants et ces lits trop étroits, les couleurs de la Chine resplendissent. Toutes ses générations, ses visages et ses ambitions se font entendre.
La vie y est bruyante parce que l’on y vend toute sorte de denrées censées apaiser la faim que ces trajets trop longs attisent toujours. Les voix s’élèvent d’un ton monocorde vantant certainement l’extrême intérêt d’une consommation régulière, mais ce langage trop étranger encore, ne nous laisse que le loisir de la supposition.
Comme une prolongation de l’Asie qui grouille avec impertinence, ces wagons accueillent des vagues de marées humaines qui s’y entassent sur des matelas usés et des strapontins fatigués.
D’une langueur appréciable pour qui sait admirer les facettes d’un monde qui défile au travers de deux fenêtres cernant l’unique couloir, le train de nuit nous la fait paraître pourtant calme au beau milieu de tous ces échos.
Les freins crissent parfois sur la rouille de leur chemin, l’air prend l’odeur des bols de nouilles brûlantes qui rythment le trajet, les âmes ferment les yeux sur la Chine qui continue de parader au dehors, et alors sans y paraître, le temps se sublime entre deux gares.

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Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir ; cœurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !

Charles Baudelaire