Voyages en sac à dos

Un moment paisible

Sur le côté de ma petite table de bois, une tasse de thé fumait, un thé très doux, au goût de paille, que l’on ne laisse ici jamais s’infuser trop longtemps. Les saveurs en sont paradoxalement sublimées, presque furtives.
Le Japon est comme son thé, d’une douceur exquise. Les gestes de notre hôte étaient lents et délicats alors qu’elle s’affairait à déposer devant nous une multitude de bols de verre miniatures qui nous promettait chacun une saveur inconnue. Les sushis sont ici des pièces délectables, que l’on savoure sans hâte, et les champignons, d’une perfection étonnante, baignent dans leur soupe miso.
Le visuel est un art dont on prend le plus grand soin, qu’il s’agisse d’agencer la disposition des baguettes au bord de votre assiette, ou d’égaliser le niveau de votre petit verre de saké. Sans force, sans même vous brûler la gorge, de lui aussi on se délecte.

La lumière tamisée rend à la pièce son aura insaisissable, feutrée et silencieuse sans jamais se taire complètement. Mes voisins de table japonais ont le sourire facile, il comble sans mal et bien à raison les imperfections de leur anglais, quelques mots brefs suffisent pour qu’émane de chaque échange un sentiment de simplicité non feinte.
Les jambes croisées dans cette posture que l’on a parfois du mal à dompter, j’admirais l’aisance avec laquelle ces deux là, du haut d’un âge qui me paraissait bien le double du mien, s’appliquaient à garder le dos droit, les genoux repliés sur un coussin de tissu.

A nos pieds point de chaussures, nous n’oserions pas entamer les lames de ce parquet avec tant d’audace, et sur nos épaules le kimono traditionnel, seule parure de rigueur qui s’accorde avec les lieux. Une fine ceinture bleutée étreint cette robe blanche qui flotte jusqu’à nos chevilles et nous accorde sans doute un peu plus de prestance.
Derrière les portes coulissantes de ma chambre, les tatamis de bambous se croisaient devant moi, dessinant sur le sol l’antre de ma nuit.
Les modestes centimètres de mon futon seront d’un confort insoupçonné, la faible lumière jaune se dissipant dans la pièce et seul le bruit sourd d’une pluie battante nous rappelant au monde extérieur.

A Chiktsuyu, cet extérieur n’est qu’un horizon de montagnes. Nous sommes encore bien loin de l’exubérance urbaine nippone. Ici l’air transpire l’humidité des forêts, le paisible quotidien d’une vie de culture et la langueur sauvage des cascades éternelles.

Le coeur apaisé par le sourire timide et si bienveillant de votre voisin de table, l’on est tenté de croire que le monde est d’une perfection désirable entre ces quatre murs de Bambou, où se confinent les vapeurs sublimes d’une simple tasse de thé brûlant.

 

 

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1 Commentaire

  1. Raph Raph
    04/02/2016    

    Merci pour ce partage d’aventure ! Les photos sont époustouflantes et les paysages que tu partages à couper le souffle.
    Le tout décrit et commenté avec un talent certain pour la narration ! C’est un réel plaisir de te lire, on se sent transporté, et ça me donne encore plus envie de visiter le Japon.

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Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir ; cœurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !

Charles Baudelaire